Le couple, de l’esclavage à la libération affective
Il est très difficile de définir l’amour car c’est en premier lieu une émotion. Il semble, cependant, être l’essence même d’une expérience importante, celle de se sentir exister dans la relation à l’autre et incarner ses valeurs les plus profondes.
Le couple fait l’objet de nombreux ouvrages, poèmes, pièces de théâtre et scénari de cinéma dont le thème privilégié est bien souvent l’amour, le désamour, la trahison, l’abandon, la peur de perdre l’autre…
Comment expliquer un tel intérêt?
Le couple est le témoin d’un rêve, un lieu de satisfaction de nos besoins et de nos désirs. Il est bien souvent investi d’une mission inconsciente: Voir se réaliser quelque chose que l’on ne peut ou que l’on croit ne pas pouvoir vivre seul.
Le couple imaginaire montre bien notre capacité à rêver d’un lien où viendraient s’expérimenter tous les possibles. Pour se ressourcer? Pour réparer? Pour se sentir exister? Pour réaliser?
Un voyage au cœur de l’expérience, le couple est avant tout une aventure que l’on vit à deux. Il offre à chacun la possibilité d’explorer son humanité et de transcender ce lien entre le pôle masculin et le pôle féminin.
Un être est unique qu’à la condition qu’il soit parmi d’autres. Pouvoir se dépasser, s’explorer, s’enrichir, se sentir au-delà, hors de portée de toute définition et de détermination. Il va de soit que cette rencontre est constamment confronté au réel de l’autre et renvoi à une multitude d’occasion pour mieux appréhender l’altérité. Le couple vit souvent des impasses qu’il traverse avec ce qui le fonde, avec les bases de chacun. Le conflit ou les reproches sont à chaque fois une belle opportunité pour s’arrêter et chercher à comprendre. Mais faut-il encore avoir la capacité de se poser….
Les questions tournent souvent autour de l’incapacité à écouter l’autre réellement, l’entendre, ne pas s’approprier sa parole, se distancier suffisamment pour être dans le cœur de la relation. Dans le fond, les questionnements sont bien souvent : se sent-on aimé et aime-t-on l’autre?
Que se passe- t-‘il donc?
L’union dans un couple crée une reviviscence de la dyade précoce (figure maternelle qui s’occupe du bébé et l’enfant). Inconsciemment, les sentiments et les besoins se révèlent et prennent diverses formes qui cachent le message et déposent doucement un voile opaque qu’il convient d’éclairer si l’on veut se sortir de nos souffrances.
Combien de reproches et d’injonctions sont au fond des demandes déguisées? Nous voyons cela tous les jours.
La prise de conscience des enjeux de la relation dans le couple est un merveilleux chemin pour se construire dans un profond respect mutuel et apprendre à éviter les pièges.
Le couple, une école de vie
Le couple est donc une belle école où il est possible de comprendre ce que l’on cherche vraiment, guérir de ces blessures inconscientes et faire fleurir une profonde sagesse. Sachant que s’accompagner est synonyme de clairvoyance et de discernement, l’amour partagé propose de vivre au cœur du soi une profonde honnêteté envers soi et envers l’autre.
Il convient de le cultiver dans son jardin loin des vertus guerrières. Pour cela, il est incontournable d’apprendre à s’écouter et à se parler. Oser offrir sa vulnérabilité à l’autre pour que la relation soit une offrande et un révélateur et non une prison où se dessèche l’âme.
Le théâtre du couple donne lieu à diverses mises en scènes et si on aime développer la conscience de ce qui se dit réellement, le chemin est semé de rencontre avec des parts de nous même inexplorées. La femme est souvent initiatrice, l’homme un éveilleur, en se complétant, ils s’offrent une expérience d’unicité autant au niveau psychique que spirituelle. Faut encore pouvoir se prendre en charge pour proposer et partager ses sentiments. Prendre le temps de se rencontrer.
Aimer, c’est quoi?
Aimer, Verbe d’action où le cœur a toute sa place, mais peut être pas que cela. Alors de quoi s’agit-il?
Cette question, toute personne se la pose à un moment donné.
Beaucoup de paramètres entrent en ligne de compte pour sentir son cœur et son élan d’aller vers l’autre.
On peut parler d’énergie d’amour qui pousse le mouvement à penser à l’autre, lui faire plaisir, être disponible pour lui, prendre soin de lui, être attentif à ses besoins…
Pour sentir de l’amour, il semble important d’avoir acquis une suffisante expérience d’amour de soi. C’est- à -dire, un mouvement du cœur vers le Soi, l’être profond. C’est une rencontre intérieure que personne ne peut faire à notre place. Sentir que nous portons de l’amour pour un autre différent de soi, C’est sentir un dialogue intérieur à chaque instant où s’affirme divers besoins et sentiments.
Malheureusement, nombreuses sont les injonctions parentales qui briment tous les jours l’enfant qui a envie de tester sa capacité à s’affirmer. Il n’est pas facile d’affirmer l’amour de soi comme la vertu principale et incontournable du processus de vie. Il est difficile pour certaine personne de ne pas tomber dans le jugement lorsqu’une personne émet un refus ou n’a pas la réaction qu’il attendait. Il ya beaucoup d’attentes vers l’autre, des besoins inassouvis se révèlent à tout instant et demandent instamment d’être satisfait, comme un enfant qui n’a pas développé l’amour de soi.
Nombreux sont les couples qui se déchirent car ils n’acceptent pas la part de l’autre qui revendique haut et fort son droit de demander le temps, l’espace et les mots qui vont respecter le droit de s’aimer soi-même. Il va s’affirmer comme un enfant, rejouant inconsciemment les scènes où il n’a pu obtenir cette profonde satisfaction d’être aimé pour ce qu’il est et non pour ce qu’il pense devoir faire pour être aimé.
Un peu comme une deuxième chance, il prend inconsciemment le détour de la relation conjugale pour tenter de dépasser une expérience vécue jadis douloureusement.
On pourrait avancer que développer un amour de soi est la pièce maitresse de tout épanouissement.
Souvent assimilé à l’égoïsme, porter une attention à ses besoins et à ses désirs peut agacer, être jalousé, devenir méprisable, être sujet de revendications véhémentes et parfois même déclencher des réactions destructrices. « Tu ne penses qu’à toi, tu es démissionnaire, tu n’en fait qu’à ta tête … »
La libération affective:
« Ce n’est pas en regardant la lumière qu’on devient lumineux, mais en plongeant dans son obscurité ». Carl G. Jung
Avant de parvenir à une libération affective, nous passons généralement trois phases dans nos rapports à l’autre dit M.B Rosenberg.
- L’esclavage affectif
- La phase exécrable
- La libération affective
La première phase est l’esclavage affectif. Beaucoup de personnes se sentent responsables des sentiments de l’autre. Vouloir faire plaisir, faire toujours plus et finalement les proches deviennent des poids à supporter.
Dans le couple c’est un état très fréquent. « Je me sens prise au piège,…. je sens que je n’ai pas le droit de dire ce que je pense, …..il m’a dit que si j’étais pas contente la porte était ouverte,…. j’étouffe et j’ai envie d’arrêter la relation,….. je n’ai plus envie de lui,…. elle n’est jamais contente, ….elle ne se rend pas compte de tout les efforts que je fais,…… j’en ai plus rien à faire….. » La personne croit qu’aimer c’est renier ses propres besoins afin de répondre à ceux de l’autre.
Souvent, lors de la phase de rêve de la relation amoureuse, on se sent porté, joyeux, la relation est passionnante, merveilleuse, l’autre n’a pas ou peu de défaut, chacun est comblé, aveuglé par l’illusion des premiers mois… premiers émois…
Puis vient le désenchantement, la relation devient plus sérieuse et chacun sent que l’autre ne répond plus aussi vite et bien aux besoins. Qu’il n’a plus la même disponibilité, regard et délicatesse. Un des partenaires (ou parfois les deux) peut se sentir de plus en plus responsable des sentiments que l’autre peut exprimer. Il n’accepte pas que l’autre prenne de la distance. « S’il me fait des reproches, c’est que je ne fais pas bien les choses, que je ne l’aime pas comme il faut. Que je pense trop à moi ». Il se trouve finalement devant son vide et peut lui en vouloir de le lui faire ressentir. Alors que c’est une chance pour lui de développer son autonomie affective.
Un homme qui ne supporte pas les revendications de sa compagne peut très bien dire: « Elle est tellement exigeante et crée constamment des conflits depuis quelques temps que je préfère rompre, je ne m’y retrouve plus, c’est trop tendu, je n’y arrive pas ». Cet homme ne s’étant pas aperçu qu’il était dans l’esclavage affectif et choisit d’acter une séparation plutôt que de dépasser le conflit et trouver l’amour pour soi même. Il a cru qu’il fallait répondre aux exigences au lieu d’établir une relation suffisamment distancier pour établir un dialogue empathique et écouter sans chercher à répondre aux besoins de sa compagne. Les exigences, les velléités d’affirmation ont besoins d’être entendues et revaloriser. Dans un cadre ouvert et aimant, il est possible de dépasser ses tiraillements.
C’est d’ailleurs le moment où l’on sent reprendre goût à des passions, aller vers l’extérieur pour nourrir sa relation amoureuse et ne pas avoir peur de perdre l’amour de l’autre.
Ne pas oser être soi est le poison du couple
La deuxième phase est celle où nous ressentons de la colère et où nous n’avons plus envie de ressentir cette responsabilité des sentiments d’autrui.
C’est la phase « exécrable« . Cela se traduit parfois par une réaction méprisante à l’égard de l’autre alors qu’il vient de se faire mal. Ou encore, des réflexions désagréables vont surgir pour tout et n’importe quoi. « Je ne suis tout de même pas responsable de ce qu’il ressent ».
A cette étape nous sentons de quoi nous ne sommes pas responsable mais reste- t-‘il encore à nous comporter envers l’autre de façon responsable pour enrayer l’engrenage de l’esclavage affectif… ?
Le livre de Jean Monbourquette, « Apprivoiser son ombre » est d’une aide précieuse pour comprendre les mécanismes puissant de projection de son ombre sur autrui et notamment sur le conjoint ou la conjointe.
Sortir du CONTRE pour aller vers le POUR.
Cette étape est souvent ressentie douloureusement pour celui qui tente de la dépasser. Il a souvent le sentiment de faire le travail pour les deux et de ne pas avoir la chance de recevoir ce dont il a profondément besoin. Là encore, il est important de développer une autonomie affective, sentir que nous faisons les choses pour soi, pour son propre développement personnel.
Il ne suffit pas d’affirmer nos besoins pour acquérir une libération affective. Faut-il encore affirmer sereinement ses besoins tout en respectant ceux des autres. L’autre conjoint ne comprend pas les velléités d’affirmation comme une tentative de rétablir le lien. En effet, lorsque nous sommes dépendants affectivement nous sommes dans une fusion avec l’autre et quand nous sommes dans cet état fusionnel nous sommes UN et non DEUX personnes différenciées. La personne qui est dans la phase exécrable tente maladroitement de défusionner, dire à l’autre qu’il veut rétablir sa présence à lui-même pour mieux créer du lien. Car pour se sentir en lien, il faut être deux « je » différenciés.
Mais pourquoi est-ce si difficile?
Ces difficultés sont une réactualisation des blessures ou des incompréhensions lorsque petit nous avons commencé à dire NON.
Le bébé détourne la tête du sein ou regarde dans le sens opposé à la mère, le petit enfant s’oppose et revendique le droit d’aimer le contraire de son parent, c’est le non œdipien qui dit non au parent de même sexe pour se tourner vers le sexe opposé. Tous ces NONS sont tout simplement des étapes nécessaires pour la construction identitaire de l’enfant. Adulte, nous rejouons bien souvent les phases où nous n’avons pas été entendu et respecté et nous le rejouons dans notre relation de couple.
A la troisième phase nous prenons la responsabilité de nos intentions et de nos actes. C’est la phase de la libération affective.
Nous réagissons aux besoins des autres avec bienveillance, dans l’ouverture, sans crainte, sans devoir, ni culpabilité, ni honte. Nous prenons la responsabilité de notre positionnement, nous demandons confirmation, nous apportons spontanément nos idées sans peurs de blesser. La satisfaction de nos besoins ne se fait pas non plus au détriment de l’autre. Une grande empathie fait place aux attentes infantiles.
Un réel lien se crée, sans tomber dans la toute puissance, ni en mettant l’autre dans l’impuissance. Les décisions se prennent à deux dans l’intelligence du cœur et dans un dialogue adulte.
La libération affective consiste à exposer ce que nous souhaitons, tout en tenant compte des besoins de l’autre. Être attentif à ce que l’autre se sente sujet et non objet de la prise des décisions. Nous faisons attention.
A cette étape nous assumons pleinement nos propres sentiments mais pas ceux des autres, tout en sachant que nous ne pouvons jamais satisfaire nos propres besoins au détriment de l’autre.
Aimer demande donc d’apprendre à s’aimer soi-même pour pouvoir observer à distance la beauté de l’autre, l’honorer dans la relation en lui signifiant qu’il a le droit d’expérimenter ce qu’il souhaite sans se sentir jugé. Cette capacité demande un travail de conscience. Une exigence envers soi-même pour apprendre et accepter tous les moments au cours de l’apprentissage où nous tombons encore et encore dans nos travers.